Quand on flâne sur le port de Cancale, entre les stands d’huîtres et les casiers empilés, on pense souvent aux marins, aux ostréiculteurs, à la mer.
Mais pendant plus d’un siècle, ce sont des femmes, les pieds dans l’eau, le dos courbé, qui ont incarné la réalité du travail quotidien sur les rives de la Manche.
Elles s’appelaient Jeanne, Augustine, Marie. Elles étaient laveuses d’huîtres.
L’essentiel :
- Les laveuses d’huîtres ont marqué la vie maritime de Cancale du XIXe au milieu du XXe siècle
- Ce métier rude et saisonnier, presque entièrement féminin, a nourri des générations de familles locales
- Une statue sur le port et des récits vivants permettent aujourd’hui de ne pas oublier leur mémoire
Un métier dur, presque invisible
À partir du XIXe siècle, Cancale devient un haut lieu de la culture ostréicole. Mais avant que les huîtres n’arrivent sur les étals de Paris, il fallait les trier, laver, emballer — un travail minutieux, physique, et souvent confié… aux femmes.
Installées sur les bancs de pierre ou directement dans les bassins du port, elles travaillaient à genoux ou debout dans l’eau glacée, hiver comme été.
Armées d’un petit couteau et d’une brosse, elles nettoyaient chaque coquillage à la main, souvent des heures durant, pour quelques francs.
Leur journée commençait avant l’aube, au rythme des marées, et s’achevait parfois dans la pénombre.
“On avait les doigts comme des chiffons et les jambes gelées. Mais on riait entre nous. Et on faisait vivre nos familles.”
— Témoignage recueilli au musée de Cancale

Une solidarité entre femmes
Le métier de laveuse, exclusivement féminin, était aussi un monde à part :
- Les femmes se transmettaient les techniques de mère en fille
- Elles formaient un groupe soudé, habitué aux horaires décalés et à l’humidité permanente
- Elles travaillaient parfois jusqu’à 60 ans passés, courbées sur les paniers
Malgré la dureté, il y avait de la fierté. Car ces femmes faisaient vivre leur foyer, et Cancale tout entier dépendait de leur savoir-faire.
Une mémoire encore vivante
Aujourd’hui, le métier de laveuse a disparu, remplacé par des machines et des pratiques modernisées. Mais à Cancale, la mémoire de ces femmes ne s’est pas dissoute dans la mer.
Une statue érigée sur le port rend hommage aux laveuses.
Elle représente une femme penchée sur son panier, figée dans son geste, face à l’eau.
C’est un repère pour les visiteurs, et un symbole puissant pour les habitants.
Le musée des arts et traditions populaires de Cancale consacre également une belle part de ses expositions à la vie de ces travailleuses oubliées.
Une statue pour ne pas oublier
Depuis 1999, une statue trône sur la place de l’église Saint-Méen à Cancale, rappelant à tous la mémoire silencieuse des femmes du port. Œuvre du sculpteur Jean Fréour, connu pour ses représentations du monde ouvrier breton, cette fontaine en bronze met en scène deux laveuses d’huîtres en tenue traditionnelle, courbées sur leur travail.
Loin d’un geste figé, la sculpture capte le mouvement, la concentration, la rudesse du métier, rendant un hommage sobre mais poignant à celles qui, dans l’ombre, ont longtemps fait vivre Cancale.
Devenue au fil des ans un repère affectif et patrimonial, cette œuvre invite les visiteurs à regarder autrement les huîtres qu’ils dégustent sur le port : derrière chaque coquillage, il y a eu des mains, de la sueur, des vies entières dévouées à un savoir-faire.

Pourquoi cette histoire compte encore ?
Parce qu’elle rappelle que le goût des huîtres de Cancale a longtemps eu le visage des femmes.
Parce qu’elle dit aussi l’ingéniosité, la résistance, la solidarité qui traversent les générations maritimes.
Et parce que, dans un monde qui oublie vite, ces gestes simples, répétés mille fois, sont devenus un patrimoine à part entière.
Que voir sur place
- La statue des laveuses, en bordure du port de la Houle
- Le musée de Cancale, qui propose objets, photographies et témoignages
- Les panneaux d’interprétation autour du marché aux huîtres
- Une dégustation sur place, en pensant à celles qui ont préparé ces trésors marins pendant des décennies
Les laveuses d’huîtres ne sont pas que des silhouettes du passé.
Elles sont la mémoire vivante d’un savoir-faire et d’un courage discret, inscrit dans chaque coquille, chaque panier, chaque vague qui frappe le quai.
À Cancale, la mer parle aussi avec la voix des femmes.